Finissant en 1980
Denis Rodier a pris place dans l’univers de la bande dessinée mondiale
Denis Rodier de Nominingue est un des finissants de l’année scolaire 1979-1980 de la polyvalente Saint-Joseph, comme son père des décennies auparavant. Depuis, à user de persévérance, il s’est taillé une place dans le monde de la bande dessinée mondiale. C’est un entretien réalisé d’un trait avec le co-créateur de La Bombe, le grand succès traduit en 17 langues.
D’entrée de jeu, il faut savoir que la bande dessinée (BD) est un genre littéraire très complexe, avec ses propres codes et signes. Maîtriser le genre commande beaucoup de sueur et de calendriers au compteur. Quand on demande à Denis Rodier à quelle époque il a commencé à griffonner « des bonhommes » ou créer ses premières bandes dessinées, il indique à L’info, quoiqu’indirectement, que c’est presque dans ses gènes.
« J’ai toujours fait du dessin. Toujours voulu faire de la BD dès mon plus jeune âge. C’est quelque chose qui m’a toujours suivi », affirme-t-il.
Comme tous, jeune, il absorbe tout ce qui passe et ne conserve que la matière qui l’influence inconsciemment. En ces temps, à Nominingue, les BD étaient disponibles chez l’épicier et aux bibliothèques des écoles et des municipalités.
Qui sont vos influences en bande dessinée dans votre jeunesse ?
-« C’étaient bien sûr Astérix, Gaston Lagaffe, mais aussi les Fantastic Four et Spider-Man. Un mélange de la BD européenne et américaine .»
Après trois années de secondaire à l’école Sainte-Croix de L’Annonciation (l’école du Méandre à Rivière-Rouge), tous doivent terminer ce cycle à la polyvalente Saint-Joseph de Mont-Laurier. Là, on voyage soir et matin ou l’on utilise le service d’hébergement. Denis Rodier opte pour le dernier choix pour les deux années scolaires de 1978 et 1979.
À la Polyvalente, il dessinait autant d’illustrations que de BD. Qui ne se souvient pas de la murale sur le mur du salon étudiant en 1979 ou encore la pléiade d’illustrations pour le journal étudiant hebdomadaire le Trait d’Oignon la même année?
Après Saint-Joseph, vous poursuivez vos études en arts dans quelles institutions solaires?
-« À Sainte-Thérèse, en arts plastique, au collège Lionel-Groulx, ensuite en graphisme au collège Ahuntsic à Montréal. Au Cégep, je me suis rendu compte que la carrière en bande dessinée n’était pas aussi reluisante que je pensais. C’est là que je me suis redirigé vers l’illustration pour mon avenir, sans pour autant reléguer la BD au passé. »
En ces temps-là, vers le nombril des années 80, vous commencez à vouloir faire de la BD. Pourquoi mettre ce rêve de côté?
-« J’ai toujours quand même continué à travailler mon style. À cette époque, je voyais des opportunités pour les gens à l’étranger de pouvoir travailler chez les Américains en utilisant le service de messagerie terrestre. J’ai donc commencé à reconsidérer ma carrière en BD.»
Depuis quelques années, Denis Rodier faisait religieusement la tournée hebdomadaire des comic shops [magasins spécialisés dans la vente de BD américaines – NDLR]. Malgré son souhait de publier ici dans une revue comme le mythique Croc, Denis Rodier, par l’influence récente de nombreux talents américains (Rude, Sienkiewicz, Miller, Chaykin, en plus des légendes du genre) pense de nouveau à la BD.
« C’était l’époque préinternet. La messagerie marchait bien avec les Américains, ce que l’Europe ne possédait pas encore pour nous, ici », observe le bédéiste de son studio de Rivière-Rouge.
Beaucoup de dessins sur les planches
Réussir aux Étas-Unis en BD demande de faire acte de présence, un jour ou l’autre, dans les conventions sur le sujet tenues dans quelques grandes villes. Denis Rodier va souvent à celles de New York, parfois San Diego. Sur place, pendant quelques jours, il rencontre ses bédéistes préférés et montre ses planches. Eux apportent des commentaires, des encouragements. Aussi, à certaines tables se trouvent des éditeurs de comics. Là aussi les commentaires, les encouragements et plus encore se partagent.
Après quelques voyages, il obtient la chance d’encrer quelques planches (pages) dans Batman. D’autres demandes de ses services suivront avant qu’il hérite de quelques titres bien connus au cours des années 90.
Sur combien de titres as-tu travaillé pour les amis du Sud, et quels sont les titres les plus importants ? Et combien de planches as-tu encrées ?
-« Évidemment Superman, dont sur l’universel succès de la mort de ce superhéros, mais aussi, Batman, Wonder Woman, Captain America, Star Wars… Quant à combien de planches j’ai encré [un numéro comporte 22 pages de BD – NDLR], je dirais environ 1500. L’équivalent de 10 ans de travail.»
Direction l’autre côté de l’Atlantique
Son rêve de travailler en Europe se pointe au milieu des années 2000, sa réputation d’encreur et de solides cases crayonnées fait donc son œuvre partout.
« Oui, en avril 2008, avec L’Ordre des Dragons, chez Soleil. »
Depuis, les titres européens se succèdent. Parmi ceux-ci, retenons le grand succès qu’est La Bombe (2020), la biographie illustrée de Lénine (2017), etc. Denis vient de terminer La 3e Kaméra (2024).
Pourquoi autant de temps sur ces BD européennes ?
-« Ce sont souvent des ouvrages avec beaucoup de pages. J’ai ralenti après La Bombe même si des projets ont été avancés. Et d’autres que j’ai entamés pour mon prochain album.»
Dans les années 2000, Denis Rodier fait beaucoup d’illustrations. Sa griffe se voit sur les affiches des festivals de la BD de Prévost, de Montréal et Québec, de la Chorale Harmonie de la Vallée de la Rouge, où il joue aussi de la musique. Puis, il fait des pochettes d’albums pour des membres de la formation King Crimson (Tony Levin et Pat Mastelotto) et pour Garolou.
À l’heure où le décrochage est une plaie, que conseillez-vous aux étudiants ?
-« De prendre le temps, de mettre tous les atouts de son côté pour faire en sorte de ne pas manquer d’outils pour cette réussite, quoiqu’elle soit. Par exemple, pour faire de la BD, ça prend le français. On a beau vouloir dire que pour réaliser une BD qu’il faut savoir dessiner, mais il faut savoir écrire. »
Comment voyez-vous les années à la polyvalente Saint-Joseph?
-« Ce fut pour moi une période de transition. Le temps des choix pour m’orienter vers une carrière, qu’elle soit locale, internationale, payante ou peut-être pas pourvu qu’elle soit conforme à mes envies. Une carrière en BD pour quelqu’un de Nominingue, ce n’était pas évident. Il n’y avait pas de cours sur ce sujet au Québec. Mais en utilisant les bases apprises à l’école, ça m’a permis d’aller hors des sentiers battus. C’est un beau lieu d’apprentissage pour organiser ses idées! »
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